Le Dîner des Bouffons (ou Pourquoi je ne suis pas allé au Dîner en blanc)

23 Août

Crédit photo : Paris Daily Photo

En 1985, Pierre Falardeau a capté les célébrations du 200e anniversaire du Beaver Club dans un court métrage intitulé Le Temps des Bouffons que je vous incite fortement à regarder sur You Tube. On y voit la haute bourgeoisie montréalaise recréer l’époque coloniale britannique à grands renforts de costumes et de pièces montées. Ce qui frappe le plus, outre l’aspect incongru d’un peuple qui se pare des atouts de ses colonisateurs pour célébrer sa propre conquête, c’est à quel point tous les participants semblent convaincus de participer à un événement important, à quel point ils sont contents d’être là, combien ils se trouvent beaux. Tout cela est immortalisé dans les désormais célèbres paroles du maître de cérémonie de la soirée, et éditeur en chef de La Presse, Roger D. Landry :

«Et maintenant, as president of the Beaver Club, may I say to you the following: never any club has been so honoured and so magnificently rewarded on its two-hundredth anniversary to have such a magnificent membership as you are. À vous tous, nos membres, à nous tous, applaudissons-nous. We are magnificent people and I raise my hat to all of us. Bravo. You are as beautiful as I think I am. Thank you very much. Good evening. Bravo. Good night. Tout le monde, les serviettes, on fête, on témoigne notre appréciation. Everyone, yes, that’s right! Bravo! »

Vingt-cinq ans plus tard, l’aspect colonial a heureusement été évacué, mais je ressens le même malaise à voir les images du Dîner en blanc tenu la semaine dernière à Montréal.

La bourgeoisie y est beaucoup plus petite, les Marc Lalonde et Jeanne Sauvé ont cédé leurs places à Ricardo et Nathalie Petrowski, les seigneurs de Westmount ont envahi Rosemère et le Plateau, mais ils se trouvent toujours aussi beaux.  Les redingotes des Frobisher et McGill ont été remplacées par celles des Backstreet Boys, les faisans par de la vichyssoise et la valse par les Gipsy Kings, mais le besoin aveugle de ces belles gens de s’applaudir, de s’auto-congratuler et de se sentir importantes demeure intact, comme en témoigne cette perle de Marie-Claude Lortie :

« À chacun ses revendications, sa façon de faire avancer le monde. Parfois on crie. Parfois on mange. Au Dîner en blanc, on insiste pour prendre le temps de s’arrêter, histoire de regarder la ville passer, un pique-nique à la fois. »

 (Décidemment La Presse est toujours présente lors des grands événements…)

Pourtant, j’ai beau me creuser les méninges, je n’arrive pas à comprendre comment s’habiller comme un participant d’Occupation Double Punta Cana pour aller manger des petits fours avec la clique du Plateau et les bouffons flagorneurs qui achètent ses livres de recettes accomplit quoique ce soit, sinon nous convaincre de la vacuité de la leisure class québécoise.

Quand on sait désormais que celle-ci passe ses temps libres avec un tape à mesurer chez Home Depot pour s’assurer d’avoir une table qui rencontre les édits d’un dénommé Bobby Blanc pour ainsi gagner le droit de danser sur les airs de Barry White (alerte concept!) dans une fontaine entourée des cônes oranges de leur ville en ruines, on comprend mieux que certains ont besoin d’élever des poules sur les terrasses de leurs condos pour retrouver un peu de sens à leur existence.

On aurait aimé qu’à l’image des célébrants du Beaver Hall, ils aient au moins la pudeur de nous crisser patience en le faisant, mais c’est trop demander à cette coterie qui ne sent vraiment qu’elle existe que lorsqu’elle se reflète sa propre image.

Nous lui ferons donc cette faveur à notre tour, gracieuseté du regretté Falardeau :

« Toute la gang des bienfaiteurs de l’humanité. Des charognes à qui on élève des monuments, des profiteurs qui passent pour des philanthropes, des pauvres types amis du régime déguisés en sénateurs séniles, des bonnes femmes au cul trop serré, des petites plottes qui sucent pour monter jusqu’au top, des journalistes rampants habillé en éditorialistes serviles, des avocats véreux, costumés en juges à 100 000$ par année, des liche-culs qui se prennent pour des artistes. Toute la gang est là : un beau ramassis d’insignifiants chromés, médaillés, cravatés, vulgaires et grossiers avec leurs costumes chics et leurs bijoux de luxe. Ils puent le parfum cher. Sont riches pis sont beaux; affreusement beaux avec leurs dents affreusement blanches pis leur peau affreusement rose. Et ils fêtent… »

Photo courtoisie de Clarah Germain (oui, vraiment!)

27 Réponses to “Le Dîner des Bouffons (ou Pourquoi je ne suis pas allé au Dîner en blanc)”

  1. Spike S 23 août 2010 à 11:39 #

    FC angry like Hulk!

  2. Brigitte Stock 23 août 2010 à 11:43 #

    Hugo, j’adore ton propos. Visiblement le ridicule ne tue pas. Bravo pour ton courage. Tu as entièrement raison. Sommes nous vraiment tous une gang de bien pensants qui s’y croient en oubliant que les choses VRAIMENT importantes sont à mille lieux de ce happening surfait?

  3. eve martel 23 août 2010 à 11:54 #

    Tout est dit! Bravo.

    Parce que certaines de mes amies y participent, je n’ai pas osé afficher outre mesure mon dégoût grandissant pour cet événement auquel je m’intéressais au départ et pour lequel j’avais réussi à avoir une invitation. C’est après avoir payé mes billets et reçu les « Règles » que j’ai déchanté. Élitisme, snobisme, kétainerie et une certaine homophobie déguisée en soucie d’esthétisme (on doit absolument inviter une personne du sexe opposée) s’en dégageaient. À ça s’ajoutaient les rigoureuses instructions pour l’équipement et la course à l’échalote pour s’équiper. Finalement, j’ai réalisé que je ne voulais en aucun cas m’associer à cet événement. je croyais qu’il s’agissait d’un get together de foodies. En fait, c’est un get together de m’as tu vu.

    J’ai réussi à me faire rembourser le coût de mes billets. Je l’ai échappé bel.

    Quand j’ai vu que l’endroit secret était le Square Victoria, j’étais morte de rire. Quoi de mieux qu’un parc situé entre le Centre de Commerce Mondial et la Tour de la bourse pour accueillir ce coûteux dîner exclusif! Je suis certaines que les gens qui y étaient ont ressentie de la magie, je ne veux pas leur dénigrer leur plaisir, mais come on… Réalisent-il l’image et le message de cet événement?

    • foodczar 23 août 2010 à 12:11 #

      Il y a sûrement une blague à faire avec les résultats de la Caisse de dépôt, mais je vais la laisser à Stéphane Laporte 😉

  4. Clarah 23 août 2010 à 11:54 #

    Moi, la question que je pose, c’est: avons-nous toujours besoin d’être « signifiants »?!? Est-ce qu’on peut avoir envie de fêter et, l’espace de quelques instants, ne pas avoir en tête les choses vraiment importantes? Ça vous arrive pas, vous?

    • foodczar 23 août 2010 à 12:05 #

      La motivation du participant individuel est une question plus délicate (quoique je ne l’épargne pas non plus), mais quand « le plus important quotidien français d’Amérique » décide de couvrir l’événement en direct, faut commencer à se poser des questions plus sérieuses.

      • Clarah 23 août 2010 à 13:01 #

        Là-dessus je suis quand même d’accord avec toi. J’ai d’ailleurs décidé de ne pas en parler sur mon blogue, finalement, parce que je trouvais que ça n’avait pas sa place – que ça n’apportait rien à la table. Cela dit, j’ai eu beaucoup de plaisir à cette soirée (j’étais accompagnée de plusieurs gays qui ne ressentaient pas dutout cette homophobie dont parle Ève) et je l’assume à 100%. J’assume aussi aimer le jet set et être un peu princesse, mais je ne me considère ni insgnifiante, ni snob, ni prétentieuse.

      • Clarah 23 août 2010 à 13:02 #

        …et encore moins kétaine. Cela dit, c’est ma perception, je me trompe peut-être.

  5. Lynda Pelletier 23 août 2010 à 11:59 #

    Une analyse sociologique très fine… comme quoi l’histoire n’est qu’un éternel recommencement!

  6. eve martel 23 août 2010 à 12:00 #

    J’adore faire la fête, mais pas quand ça va contre mes valeurs. Je ressentais simplement que le Dîner en blanc va à l’encontre de plusieurs de ces valeurs. No offense.

  7. eve martel 23 août 2010 à 12:46 #

    Et désolée pour toutes les fautes dans mon 1er commentaire! Ouch!

  8. emilieenimages 23 août 2010 à 14:51 #

    Merci de nous ressortir ce cher Falardeau. Je suis d’accord avec ton analyse. Si le but est d’inciter les gens à fêter en plein air dans leur ville, pourquoi ne pas encourager les gens à sortir dans leur ruelle et à organiser des piques-niques communautaire plutôt que d’en faire un événement tellement bourgeois.

    • Clarah 23 août 2010 à 15:17 #

      Un n’empêche pas l’autre Émilie!

  9. sco100 23 août 2010 à 18:45 #

    Vous y allez fort avec Falardeau dans la mesure où ces bouffons-là avait au moins la certitude d’incarner (ou d’avoir incarné, bien que leur propre obsolescence ne les avait pas encore frappés) une forme de civilisation bienveillante, à tort ou à raison. La gang en blanc se gargarise simplement de sa propre superficialité et de son aptitude à la tweeter.

    En fait de singerie coloniale, la française en blanc accote facilement la britannique en redingote. Les deux sont détestables, cela dit, mais les Britanniques ont au moins bâti quelque chose de concret, des infrastructures sanitaires et de transport, notamment, nous dotant dans la foulée d’institutions politiques fort stables.

    On oublie souvent que ces mignons pavés du Vieux-Montréal et du Vieux-Québec qu’on imagine facilement foulés par Marie de L’Incarnation, Jeanne-Mance, Michel Sarrasin et autres superhéros du Régime français sont un ajout britannique à de boueuses rues de terre battue.

    Québec et Montréal n’étaient guère que des bourgades fangeuses et sous-développées avant que l’arrivée des Anglais ne change le cours de l’Histoire pour le mieux.

    • foodczar 23 août 2010 à 19:59 #

      Ne vous inquiétez pas, loin de moi l’idée de confondre les dîneurs en blanc avec Peter McGill 😉

      • sco100 23 août 2010 à 20:24 #

        Vous me semblez en effet capable de faire, même a posteriori, la part des choses (c’est une chose pour des notables de souligner les deux cents ans d’un club social et corpo – même maladroitement – alors que c’en est vraiment une autre pour des m’as-tu-vu médiatiques de jouer les épicuriens immaculés sans autre raison que l’auto-promotion ni autre cause sous-jacente que leur propre jouissance égoïste).

        Bref, ma mise au point ne me semblait néanmoins pas inutile.

        Bon blogue et longue vie ! J’aime bien.

  10. Lebourgeois 23 août 2010 à 22:00 #

    Au Québec, on n’a pas le droit de montrer sa richesse ou de faire à semblant. On n’a pas le droit d’avoir une BMW sans passer pour un fendant. On n’a pas le droit de montrer qu’on est heureux sinon on va nous trouver trop bizarre. On n’a pas le droit de jouer pour un soir, à ni plus ni moins, un jeu amusant et sans importance (aller souper en plein-air habillé en blanc)…wow. Quel drame sociologique. C’est vraiment n’importe quoi ce blog. Le Québec a vraiment une relation malsaine de « petit colonisé » avec l’argent…peut-être qu’il faudrait organiser un picnic où tout le monde se déguiserait en « Colon en ceinture fléchée ». On mangerait du ragout de pattes et des oreilles de « crisse », entre deux sacres tout en buvant d’la 50 tablette avec la cigarette au bout des lèvres…Continuez de dénigrer les « riches », c’est drôle, sans eux, leurs rythmes de vie, leurs gros chars, leurs comptes de taxes de la grosse cabane dans Westmount, leurs impôts, on aurait un Québec encore plus paysan…Et ça veut faire l’indépendance…ehhh misère…pauvre ti-peuple…lol…

    • foodczar 24 août 2010 à 07:53 #

      Malgré ce qu’a pu laissé entendre l’inclusion de certains des commentaires de Falardeau, je n’ai jamais pensé que Le dîner en blanc avait pour but d’étaler la richesse de ses participants. Cela aurait au moins eu l’avantage d’être clair, comme le fait de parker sa Lamborghini jaune devant le Vauvert. Au contraire, le plus grand reproche qu’on puisse adresser à cet événement est son absence complète de sens. Ça rime à quoi tout ça? Ça me mystifie encore. Au mieux, on aurait pu penser à un happening dada, absurde et aléatoire, mais il n’en n’est rien. Pourtant, on nous le présente comme un événement imminement significatif, qui mérite une ample couverture médiatique, et qui va même « changer le monde ». C’est là où je décroche et je dénonce. Se complaire dans pareil vide me semble plus indicatif encore du malaise québécois que notre rapport malsain à l’argent.

      • Lebourgeois 24 août 2010 à 09:41 #

        Vous avez un point et je suis d’accord avec le surplus de « hype » pour mousser un tel évènement. Faudrait dénoncer plutôt les médias (à la sauce TVA) qui mordent tout à l’hameçon et ne pas accorder autant d’importance médiatique. Sauf qu’en même temps, faut aussi prendre un tel évènement au 2e et 3e degré même, les organisateurs veulent mousser leur évènement et c’est correct aussi. À nous d’embarquer ou de passer son tour.

        Je n’ai même pas été à ce diner en blanc. J’ai des amis qui ont été et c’est simplement un truc insignifiant qui permet aux adultes de faire une pause et de se laisser aller. Faut pas non plus chercher à comprendre le pourquoi et le but car, à la fin, ça importe peu.

        Citer un personnage comme Falardeau et un peu extrême, car lui il a choisi la simplicité, il a choisi de s’éloigner de tout ce qui pouvait ressembler à la bourgeoisie Anglaise, etc…On peut tomber facilement dans les extrêmes et j’ai fais exprès de citer notre passé de colonisé qui vit mal avec la richesse de ces méchants anglos car on tombe souvent dans des débats de la sorte sur le web. De toute façon, la vraie bourgeoisie, ne se tient pas dans des trucs de la sorte 😉

      • Clarah 24 août 2010 à 14:49 #

        Hugo – personne se complaît. Cette soirée est un jeu. Qui n’a aucun sens, aucune mission. Juste du plaisir. Je suis d’accord avec toi que le traitement médiatique le montre autrement, mais c’est vraiment juste ça. Y’a pas de sens caché et je ne crois pas que la majorité des gens présents sont allés là pour changer le monde, le rendre meilleur ou toute autre sottise du genre.
        Cela dit, plus tu expliques, moins ton billet de départ me choque. 😉

    • Jeff 24 août 2010 à 19:09 #

      Tout est dans l’attitude mon cher ami. « Montrer sa richesse » comme vous le dites sous-entends une forme d’affectation qui n’appartient qu’à ceux qui n’ont jamais pu goûter celle-ci. Or, ils sont les seuls qui croient que nous sommes tous dupes de leur petite joute ostentatoire…Les britanniques ont d’ailleurs le terme de « parvenu » pour désigner ces nouveaux riches de la première génération qui ont réussi à se hisser dans les classes aisées. Le Québecois est un parvenu incapable d’assumer sa nouvelle aisance financière si tant elle est. Et c’est justement ce qui rends une grande majorité de ces « newcomers » particulièrement arrogants. Ils ont un besoin viscéral qui frôle presque la violence, de montrer leurs chars lustrés, leurs roues chromées, leur 4X4 « shinés », leur goût pour le bon vin, leurs bateaux et tout le « blingbling flasheux » qu’ils consomment compulsivement. Comme si justement ils avaient besoin de se prouver quelque chose. Je consomme (j’ai du $$$) donc je suis. Et quoiqu’on en pense, avoir de l’argent n’assure aucunement cette noblesse de l’âme si chère aux Britanniques…

  11. Daniel Audet 24 août 2010 à 12:30 #

    Mon seul commentaire sur cet événement : I don’t get it!
    La chose la plus proche que ça m’évoque ce sont les trucs de Jean-Marc Parent qui disait allumez les lumières… Je n’ai rien pour, je n’ai contre. I just don’t get it…

  12. viriya 26 août 2010 à 13:49 #

    H,

    check, comment on est beaux en blanc! haha ;o)

    http://picasaweb.google.com/viriya.thach/DinerEnBlanc#5509775960264379794

    J’étais frue de cette soirée avant d’y aller car il y avait trop de restrictions & de préparations, mais dès que la soirée avait levé, I had the greatest time. Ce fût tout un party!

    • foodczar 26 août 2010 à 13:57 #

      Magnifique! Vous vous fondez l’un dans l’autre 😉

  13. Nicolas Ritoux 26 août 2010 à 18:15 #

    Très belle plume, bravo!

    Je pense pas qu’ils ont tant d’argent que ça, ces gens-là, contrairement à ceux du beaver club. C’est pas du tout la même gang. Mais elle est agaçante aussi…

    • foodczar 27 août 2010 à 09:37 #

      En effet, c’est ce que j’insinuais en affirmant que la bourgeoisie y était beaucoup plus petite. Plus Plateau/450 que Upper Westmount/Outremont en haut.

  14. Dahlia 27 novembre 2010 à 17:14 #

    Excellent cette chronique! TRES drôle et intelligent.

Répondre à foodczar Annuler la réponse.